L’histoire que je vais vous raconter, vous la connaissez déjà. Je veux dire, d’autres l’ont raconter avant moi. Ceux de ma génération. Ceux qui sont nés au début des années 90. Trop jeunes pour Nirvana, pour la brit-pop. L’album est sorti en 2001 mais je l’ai découvert deux ans plus tard. La belle époque. C’est un peu avant l’avénement d’Internet, de la musique qu’on trouve partout, qu’on écoute rapidement, qu’on consomme à la va-vite. Et pourtant « Is This It » traverse l’Atlantique et vient me foutre une bonne grosse claque, en plein dans ma gueule de collégien boutonneux qui est plus intéressé par Harry Potter que le rock’n roll.
Et je l’écoute. Beaucoup beaucoup. Dans mon balladeur. Il faut changer les piles souvent pour écouter tout ça en boucle. Je l’écoute dans le bus le matin, je l’écoute à fond dans ma chambre de gamin en prenant ma vieille raquette de tennis pour une guitare. J’apprends à taper du pied, j’apprends à vibrer au son de la voix de Julian Casablancas. Mon grand frère de substition, qui me montre des horizons nouveaux, l’air de rien, avec décontraction. Il y a l’attitude aussi, c’est important, surtout quand on a treize ans. Alors, on achète ses premières Converses, on porte la veste noir et on se la joue négligé. Les cheveux poussent, le duvet aussi. Et l’amour de la musique, de la mélodie, du riff bien senti grandit grandit, jusqu’à devenir une raison de vivre, jusqu’à ce qu’on puisse se passer de cette galette fondatrice. De cette main gantée aux fesses qui est à l’origine de tout. Qui va me transformer.
Pourtant, on est d’accord, rien de révolutionnaire. Que du revival bien foutu, sec et accrocheur. Mais pour moi c’est le Graal, c’est ce qui me rend différent des autres. Ecouter « Is This It » à cet âge là, c’est se construire une personnalité, c’est devenir quelqu’un. Des révélations comme ça, il y en aura d’autres. Dylan à quinze ans. Kerouac à seize ans. Mais celle-là, c’est la première et c’est celle que je regarde quelques années plus tard avec tendresse, avec une certaine nostalgie. Je ne me lasserais jamais de ces hymnes parfaits, écoutés milles fois, qui n’ont jamais perdu de leur saveur, de leur candeur. « Someday » me rappelera toute ma vie à mon adolescence. « Last Night », c’est la bande son de mes premières soirées, de mes premières cuites. « Trying Your Luck » m’a fait chialer bêtement, comme un innoçent. Plus tard, j’allais les voir en concert, j’allais devenir une groupie et chérir les deux albums suivants, chacun à leur manière, en fonction de l’époque.
« Is This It » est mon inoubliable dépucelage musical. La porte ouverte à toutes les découvertes. The Strokes, c’est mon groupe de jeunesse et j’espère que pas mal se reconnaitront. Aucun cynisme, aucune objectivité dans cette chronique, je l’écrit avec la sensibilité d’un grand gamin qui aura toujours treize ans.